L'appel d'offre est outil obligatoire (légalement en France, pour les marchés publics dépassant 20000€) et important (qualitativement et déontologiquement) pour les commandes d'institutions publiques. La création graphique, étant souvent externalisée, fait partie des nombreux domaines qui sont concernés par le Code des marchés publics, et donc par la procédure d'appel d'offre.

Si dans l'absolu l'appel d'offre est vertueux, dans la pratique de très nombreuses dérives sont à l'œuvre. Il y a les appels d'offres pipés qui consistent à voir des institutions se plier à la procédure légale tout en ayant, en amont, déjà retenu le «vainqueur» à venir («tous les appels d'offre sont pipés» dirait Jean-Pierre) ; les appels d'offres foireux qui consistent à voir des institutions réclamer des propositions pour simplement se faire une idée de ce qu'elles cherchent (en ne retenant parfois personne à la fin pour le traiter en interne) ; les appels d'«offres altruistes» qui consistent à demander des propositions très avancées (demandant beaucoup de travail) sans dédommager financièrement les participants ; les appels d'offres inutiles qui consistent à engager cette procédure alors que le montant du marché ne l'oblige pas du tout ; les appels d'offres subjectifs qui font tenir la sélection du «vainqueur» au seul «goût» du directeur ou du président… ; les appels d'offres «gagnés-perdus» qui consistent à sélectionner un «vainqueur» pour ensuite abandonner son projet en route*.
Malheureusement, un même appel d'offre réunit très souvent plusieurs de ces graves dérives.

Aussi, je viens d'apprendre qu'à partir du 1er mai prochain, le budget minimal d'un marché public obligeant l'organisation d'un appel d'offre retombera de 20000€ à 4000€! Ce qui re-légitimera bon nombre de mises en concurrence inutiles et couteuses pour les designers.

Pris par le ras-le-bol face à l'incessante reproduction de ces pratiques néfastes pour tout un chacun (prestataires, commanditaires et usagers), Pascal Béjean et Nicolas Ledoux, appuyés par les nombreuses signatures de graphistes indépendants, ont pris l'initiative de régulièrement répondre par une lettre de refus à certains de ces appels à candidature plus ou moins bidons (après un premier entretien téléphonique avec les commanditaires). Vous pouvez télécharger trois de ces lettres ici : lettres-de-refus-2010-01.pdf

Si elles peuvent rappeler le cynisme des lettres de non-motivations de Julien Prévieux, ces courriers n'en sont pas moins très sérieux. Ils s'appuient notamment sur le travail syndical de l'AFD (Alliance française des designers) qui de son côté a publié une note et un pdf très clairs, associés à une liste noire des appels d'offres actuels.



*Récemment, la mésaventure de l'appel d'offre «gagné-perdu» est arrivé à notre ami Pierre di Sciullo, qui avait remporté le marché de l'identité visuelle du prestigieux Stedelijk museum d'Amsterdam. L'appel d'offre avait pourtant été mené avec un professionnalisme hors-paire : un jury réuni autour d'un graphiste reconnu et du directeur du musée a pré-sélectionné 6 excellents ateliers de graphisme européens, les invitant à travailler dans un premier temps de manière conceptuelle, donnant lieu à un premier échange autour de ces recherches, avant que les studios remettent leurs propositions de mise en place concrète de l'identité graphique ; cette phase étant très honnêtement rémunérée ; en prime, le jury s'est déplacé pour rencontrer chaque atelier sur son lieu de travail. À la suite de quoi c'est la proposition de l'atelier di Sciullo qui emporta le concours. Mais la suite est d'une bien plus triste couleur… Le concours s'étant fait juste avant le départ de l'ancien directeur, comme par surprise la nouvelle directrice a «un point de vue différent sur la façon d'aborder l'identité graphique du musée et son image de marque» et rompt le contrat! Un communiqué de l'atelier di Sciullo vous en dit plus.