Entretien avec Morgane Coster

«Je suis actuellement étudiante en quatrième année d’art graphique à Penninghen. Dans le cadre d’un sujet d’art graphique sur la réalisation d’un journal, j’ai choisi de travailler sur le thème des graphistes activistes.
J'aimerais beaucoup que vous m'expliquiez en quelques mots (ou lignes) vos démarches en tant que graphistes actifs dans la sociét酻

Morgane Coster, 26 décembre 2010.

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Quels sont les sujets qui vous tiennent à cœur et dans lequel vous aimeriez voir une véritable évolution et prise de conscience du public?

Nous sommes partisans de nombreuses belles idées qui toutes ont à voir avec l’égalité et la liberté, l’émancipation et la démocratie comme utopie radicale.

Nous avons également des idées critiques comme le rejet de la posture de «l’expert» – celui qui possède le privilège du savoir. En ce sens nous ne cherchons pas à faire prendre «conscience» – nous ne cherchons pas à «expliquer» ou à faire la leçon – mais bien à mettre en pratique nos idées dans notre travail.

Nous constatons dans notre champ de pratique (où agissent associations et collectivités principalement) de nombreuses incohérences politiques, techniques, sémantiques, par des groupes ou mouvements aux intentions généreuses et aux pratiques globalement positives ; nous essayons notamment de travailler là-dessus – trouver plus de cohérence entre les pratiques et les formes de communication en prenant soin de s’écarter des modèles dominants imposés par l’idéologie du marketing.

Aussi nous ne nous positionnons jamais par rapport au «public», ce pseudo-concept (précédemment appelé «masse») implique un positionnement «au-dessus de» ou «extérieur à» un ensemble d’individus indifférenciés et interchangeables, une manière de se positionner qui mène à des pratiques d’abrutissement (qu’elles soient pédagogiques, politiques, marchandes ou médiatiques). De même les «sous-publics», plus souvent appelés «cibles», – «la ménagère de moins de 50 ans», «les étudiants», «les pauvres», «les vieux», «les filles», «les mecs», «les intellos», etc. – ne nous intéressent jamais.

Comment caractérisez-vous le graphisme contemporain?

Nous ne cherchons pas à le définir autrement que ce qu’il est : le «graphisme contemporain» est celui qui est produit et diffusé ici et maintenant. Les frontières du graphisme sont insaisissables car trop floues (tantôt une pratique, tantôt une production, tantôt un art avec son élite, ses suiveurs et ses amateurs, tantôt une somme de savoir-faire hétéroclites et parfois invisibles…) et en arrêter une caractéristique contemporaine serait peut-être présomptueux.

La seule chose dont on peut être sûrs c’est que le graphisme suit de près son époque, la plupart des signes qu’il impose ne sont qu’une mise en forme visuelle des pratiques et des idées dominantes. Et tout comme il existe des pratiques et des idées alternatives, il existe des graphismes alternatifs (les deux n’étant d’ailleurs pas systématiquement liés).

Pensez-vous que les graphistes contemporains manquent d'entrain et d'idées révolutionnaires face à une société en période de crise (financière, immigration, développement durable, capitalisme ...)?

Une étude sociologique sur le parcours social, étudiant et professionnel des graphistes serait ici de rigueur.

Déjà il est compliqué de parler de «graphistes contemporains» comme il est compliqué de parler de «graphisme contemporain» ; les infographistes très nombreux dans le secteur du jeu vidéo sont tout autant des graphistes contemporains que nos copains sexagénaires qui ne savent pas utiliser un ordinateur.

Mais le cliché du «graphiste contemporain» serait plutôt une personne inscrite à la Maison des artistes (de statut indépendant), travaillant seul (le directeur artistique) ou avec une petite équipe (l’atelier, l’agence), plutôt jeune (entre 25 et 40 ans), issu des classes moyenne ou supérieure, plutôt masculin, blanc, urbain (habitant les quartiers anciennement populaires et participant ainsi implicitement à la gentrification), ayant un bac+2 (mais plutôt un bac +4 ou +5), se disant de sensibilité de gauche (vote socialiste ou écolo) mais ne s’impliquant pas pour autant dans des associations (et encore moins des partis ou des syndicats)… bref, il répond presque en tout point à l’archétype du bobo (ou du hipster s’il a moins de 30 ans) qui se dit libre (en-dehors de toute classe sociale et par là-même de tout conflit social), passe beaucoup plus de bon temps que la moyenne des travailleurs (que ce soit par son travail ou via les loisirs culturels) et ne se fait guère de souci pour son avenir.
La réponse à ta question est pour bonne partie incluse dans ce portrait socio-subjectif et caricatural.

C’est une évidence que très peu de graphistes, d’artistes, d’entrepreneurs, de politiciens et plus généralement de citoyens sont impliqués dans des pratiques politiques concrètes en prenant part à des actions. Il y a beaucoup de travail pour donner du sens à une idée de la démocratie comme devenir collectif et utopique : trop nombreux sont ceux qui ont vidé de leur sens les mots politiques, qui ont tiré vers le bas les pratiques des associations politiques, qui ont utilisé et usé les institutions à des fins individualistes.

Il faut beaucoup d’optimisme et de volonté pour participer à développer du plaisir et de l’intelligence avec la chose politique.