Ce manifeste a été publié dans les magazines Adbusters, AIGA Journal, Blueprint, Emigre, Eye, Form, Items, entre l'automne 1999 et le printemps 2000.
Nous, soussignés, concepteurs graphiques, directeurs artistiques et plasticiens, avons grandi dans un monde où les techniques et les instruments de la publicité nous ont constamment été présentés comme le moyen le plus lucratif, le plus efficace et le plus séduisant d’exercer nos talents. Nombre d’enseignants et de mentors encouragent cette croyance; le marché lui apporte son suffrage; un flot de livres et de publications l’alimentent.
Encouragés dans cette voie, les concepteurs appliquent alors leurs compétences et leur imagination à vendre des biscuits pour chiens, du café, des diamants, des détergents, du gel pour cheveux, des cigarettes, des cartes de crédits, des chaussures de tennis, des produits contre la cellulite, de la bière light et des camping-cars résistants.
L’activité commerciale a toujours payé les factures, mais maintenant beaucoup de designers, dans une large mesure, en font l’essentiel de leur travail quotidien. C’est de cette façon que le monde, à son tour, perçoit la conception. La profession épuise son temps et son énergie à créer une demande pour des choses qui sont au mieux superflues.
Beaucoup d’entre nous sont de plus en plus mal à l’aise avec cette vision de la conception. Les designers qui se consacrent pour l’essentiel à la publicité, au marketing et au développement des marques soutiennent et approuvent implicitement un environnement mental tellement saturé de messages commerciaux qu’il change la façon même dont les consommateurs-citoyens parlent, pensent, sentent, réagissent et communiquent entre eux. Dans une certaine mesure nous contribuons tous à codifier un discours officiel réducteur et infiniment nuisible.
Nos compétences seraient mieux utilisées à défendre des causes et à résoudre des problèmes plus importants. Des crises environnementales, sociales et culturelles sans précédent requièrent notre attention. Beaucoup d’interventions culturelles, de campagnes de marketing, de livres, de magazines, d’expositions, d’outils éducatifs, de programmes de télévision, de films, de causes charitables et d’autres projets de conception de l’information exigent instamment notre expertise et notre aide.
Nous proposons un renversement des priorités en faveur de formes de communication plus utiles, plus durables et plus démocratiques – une prise de conscience éloignée du marketing de produit et tournée vers l’exploration et la production d’une nouvelle forme d’expression. Le champ du débat se resserre; il doit s’étendre. La défense du consommateur demeure incontestée; elle doit être mise à l’épreuve par d’autres perspectives exprimées, en partie, par les langages visuels et les ressources de conception.
En 1964, vingt-deux professionnels de la communication visuelle ont signé un premier appel* pour que nos talents soient mis au service de vraies valeurs. Avec la croissance explosive de la culture commerciale globale, leur message est devenu plus urgent. Aujourd’hui, nous renouvelons leur manifeste dans l’espoir qu’il soit entendu dans les années qui viennent.
*Également intitulé First Things First, il avait été publié dans Design, The Architects’Journal, SIA Journal, Ark, Modern Publicity et The Guardian, en avril 1964.
Signataires
Jonathan Barnbrook, Nick Bell, Andrew Blauvelt, Hans Bockting, Irma Boom, Sheila Levrant de Bretteville, Max Bruinsma, Siân Cook, Linda van Deursen, Chris Dixon, William Drenttel, Gert Dumbar, Simon Esterson, Vince Frost, Ken Garland, Milton Glaser, Jessica Helfand, Steven Heller, Andrew Howard, Tibor Kalman, Jeffery Keedy, Zuzana Licko, Ellen Lupton, Katherine McCoy, Armand Mevis, J. Abbot Miller, Rick Poynor, Lucienne Roberts, Erik Spiekermann, Jan van Toorn, Teal Triggs, Rudy Vanderlans, Bob Wilkinson, etc.
Traduction française in Art grandeur nature. Signes extérieurs, éditions Synesthésie. 2004. Mis en ligne sur le site de l'Erba Valence.