Thomas More, L'Utopie

Il était temps pour moi de me livrer à la lecture de cet ouvrage historiquement incontournable. Malgré que les «classiques» soient pas franchement mon truc. Et c’était pas si mal que de découvrir l’Utopia («lieu qui n’est nulle part»), première du nom, même si le style de l’écriture est évidemment un peu raidasse — et encore, je n’ai pas été chiche de le lire en latin dans le texte!

J’aime beaucoup le sous-titre d’origine, très éloquent : Sur la meilleure forme de République, et sur la nouvelle île d’Utopie, un petit livre véritablement excellent, non moins salutaire que divertissant.


Planisphère de Waldseemüller, 1507.

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Deyan Sudjic, Le Langage des objets



Si nombre de nos pairs préfèrent maintenant la dénomination «design graphique» à celle, plus à l’ancienne, de «graphisme», il faut encore savoir de quoi l’on parle pour préférer un terme à l’autre. Personnellement, je campe plutôt du côté du terme «graphisme» qui est certes plus fourre-tout et évoque moins cette complexité des divers enjeux de conception enchevêtrés dans le «design», mais il est peut-être moins prétentieux, moins «expert», il y a moins le côté «utile» peut-être aussi.

Quoi qu’il en soit, le bouquin de Deyan Sudjic (directeur du Design Museum de Londres, critique et professeur), qui peut se lire comme une suite d’essais, permet de se faire une opinion claire du design et de ces enjeux actuels, de sa place dans la culture collective et l’expérience intime, de sa relation à l’obsolescence, au luxe, à la mode et à l’art. Une lecture sans doute essentielle pour un designer d’objet et, aussi, pour un graphiste.

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Cuba Gráfica!

Vient de sortir en librairie le fruit d’un travail mené avec ferveur, depuis quatre ans, par le camarade Régis Léger aka Dugudus ; Cuba Gráfica, histoire de l’affiche cubaine.



C’est du côté de L'Échappée qu'il a trouvé un éditeur pouvant l’accompagner dans ce boulot un peu dingo ; retracer plus d’un siècle d’activité graphique insulaire, en partant de pas grand chose côté documentation. Retracer notamment l’âge d’or de son affiche politique (qui colle aux deux premières décennies de la république socialiste), mais aussi rencontrer la nouvelle scène graphique, le tout avec pléthore d’images trop inconnues et des entretiens. Bref, si vous avez aimé l’affiche, l’histoire, les révolutions populaires, les livres qui traitent de sujets aussi importants que passés à la trappe, ce livre a l’air d’être destiné à votre bibliothèque en acajou. Je peux pas aller plus loin dans la publicité puisque je n’ai pas encore eu l’occasion de le feuilleter (par contre, ça fait un moment que j’en entends parler!).



Et demain (mercredi) soir, pour ceux qui sont du côté de Paris, la librairie Quilombo et les éditions L’Échappée fêtent la sortie du bouquin en y mettant les moyens! À 19h30 au CICP (21 ter rue Voltaire, 11e arr.), présentation du bouquin, avec aussi une expo d’affiches cubaines, «vente spéciale» d’affiches originales, mojitos, et concert de Nelson Palacios. Aïe, ça a l’air cool. Le flyer pdf de la soirée ici.

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Sélection de Fanzines

Ce week-end à Paris, c’est le salon Fanzines! festoch de l’auto-édition graphique. À cette occasion, Yassine, dessinateur et tenancier du super blog Lezinfo (une de nos ressources visuelles préférées!), nous a invité à présenter trois fanzines parus cette année et qui nous ont particulièrement plu. Nous en avons choisi un chacun, et c’est à lire ici.

La vie de



En parcourant les archives télévisées du web on tombe parfois sur des pépites. La dernière en date, une biographie de Léon Tolstoï en treize épisodes diffusée sur la Radio Télévision Suisse en 1969. Dans un autre genre mais aussi addictive qu'une série HBO, à chaque fois une petite demi-heure, one shot, pratiquement sans coupure ni montage, l'homme de lettre Henri Guillemin, — ici, je dirais l'immense conteur —, nous reçoit peinard dans sa bibliothèque pour nous embarquer dans l'histoire de l'écrivain russe à la recherche de Dieu, d'Amour et de Liberté, c'est l'aventure et le ton y est!

Détachez vos ceintures!

C'est le titre du tout premier livre paru sur les luttes à Notre-Dame-des-Landes en partie constitué de contributions imagées et de bandes-dessinées (mais pas seulement).
Les éditions du Kyste
ont spécialement vu le jour pour fabriquer ce livre regroupant pas mal de structures indépendantes se portant co-éditrices de l'ouvrage. On y retrouve entre-autres: l'Assocaition, 2024, Libertalia, les Requins Marteaux, l'Apocalypse, Vide Cocagne, le Tigre, Rackham, L’Œuf... avec une bonne pioche de contributeurs!
Ça sort ce 15 février et vous pouvez dès à présent le commander sur leur site ou bien le récupérer chez un bon libraire, foncez!


Au passage, un petit mot sur les Naturalistes en Lutte de la ZAD qui viennent de publier sur leur site un texte important sur la question des compensations, ici. Un peu d'argumentaire scientifique ne fait pas de mal.









Anarchy, a journal of Anarchist Ideas



C’est le prestigieux éditeur anglais Hyphen Press qui vient récemment de publier ce recueil regroupant l’intégralité des couvertures du journal Anarchy (1961-1970), fruit d’un vaste travail d’archivage — pour remettre la main sur les quelques 118 parutions jamais vendues à plus de 3000 exemplaires — mené par Daniel Poynor. Dans les années ’60, ce canard londonien est la référence en matière d’idées libertaires. Un homme derrière tout ce ramdam : Colin Ward, infatigable gratte-papier, tour à tour éditeur, militant, essayiste, journaliste… une référence intellectuelle dans le paysage anarchiste britannique.
La majeure partie des couvertures sont signées Rufus Segar, en voici quelques images, résistantes et toujours inébranlables. Résonnent ici les grandes heures de la free press.
D'autres extraits sur Recto-Verso (d'où provient la série qui suit) et aussi une rapide entrevue de Dan Poyner et Rufus Seger.












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Luther Blissett, L’Œil de Carafa / Wu Ming, Manituana

Quelques mois après avoir terminé l’Œil de Carafa, signé Luther Blissett, j’ai achevé hier les dernières pages déchirantes de Manituana, un autre roman historique du même collectif d’écrivains italiens — qui depuis 2000 signent sous le nom de Wu Ming.

Sur leur site on peut trouver, en français, la biographie de ce palpitant collectif, des épiques aventures de Luther Blissett — un nom avec lequel ont opéré divers trouble-fête, travaillant notamment à «des canulars médiatiques élaborés comme forme d'art» s’en prenant délicieusement à l’industrie culturelle et médiatique — jusqu’aux diverses productions littéraires signées Wu Ming.

L’entretien paru sur le site d’Article11 en octobre 2010 est tout aussi instructif et permet de bien saisir la dimension politique, activiste, de la pratique littéraire des Wu Ming. On peut entre autres y lire : «Nous pensons […] que notre travail consiste à proposer le récit de narrations alternatives, pour montrer la possibilité de l’impossible et poser des questions sur l’avenir à travers le filtre de l’allégorie. Ce n’est pas une question d’optimisme : c’est l’éthique de notre métier.» (Leur Déclaration de droits — et de devoirs — des narrateurs, sorte de manifeste publié en 2000, est d’ailleurs très clair sur leur idée du métier d’écrivain.)

Et ici aussi il faut lire (d’ailleurs on pourrait commencer par là) la riche présentation écrite par Serge Quadruppani. Ce dernier, parmi ses multiples activités littéraires, est le traducteur de trois des quatre ouvrages des Wu Ming parus en France.



Pour revenir aux bouquins — parce que c’est là l’essentiel — qu’en raconter? Peut-être dire d’abord que je ne suis pas tombé dedans par hasard (merci les Caracolès!).

Manituana est le premier opus d’une trilogie se déroulant au XVIIIe siècle (et le seul déjà publié). Cette histoire se passe entre 1775 et 1778 aux États-Unis, où les Iroquois Mohawks sont au cœur d’une période tragique, celle de la guerre d’indépendance. On est plongés dans l’horreur de la guerre, la violence, la haine, la peur et la peine, qui trouvent comme contre-poids troublant la culture indienne, son rapport sensible à la vie, à la nature, aux rêves… Le tout porté par un récit arythmique étonnant et une multiplicité de narrateurs.

L’Œil de Carafa est de son côté emmené par un binôme de narrateurs qui ne cessent de se croiser, de se confronter, et à eux deux ils tissent toute l’histoire. On est cette fois au XVIe siècle, tout part de l’Allemagne, de la Réforme radicale et de la guerre des Paysans. Le personnage principal, tout jeune théologien protestant au début du récit, va se retrouver emporté — et activiste — dans une suite de mouvements subversifs qui agitent l’Europe à ce moment là. Le récit est très entraînant, on trépigne de plaisir en avançant, le jeu de ping-pong à deux narrateurs est piquant et on découvre des choses lumineuses sur une époque que les leçons d’Histoire ont trop vite fait de résumer à un long tunnel sombre.

(Ma préférence irait pour l’Œil de Carafa, tellement je me suis retrouvé emporté — à mon corps défendant, «petit» lecteur que je suis!)

Étienne Davodeau, Les Ignorants


Dernier album en date du génial Étienne Davodeau, les Ignorants raconte comme son nom l'indique l'initiation croisée d'un viticulteur atypique et d'un dessinateur de la vie de tous les jours. Quel jovial documentaire qu'est cette aventure entreprise pendant plus d'un an par l'auteur et son voisin vigneron en bio de Rablay-sur-Layon (Maine-et-Loire) dénommé Richard Leroy. Il nous plonge dans le quotidien savoureux de deux métiers à première vue bien distincts mais qui se montreront fort complices. L'étincelle qui a sûrement permis que ces deux mondes puissent se rejoindre c'est l'envie d'exprimer une passion portée au travail bien fait et à une culture qu'il véhicule. Lorsque l'un l'initie à la poétique dégustation des grands crus, à la sensuelle relation d'un homme à sa terre et aux intrigantes mais plus que pertinentes pratiques biodynamiques, l'autre l'entraîne dans les mondains et fanatiques salons du livre, à toucher et sentir le papier et les encres d'imprimerie et à converser lors des chaleureuses réunions-repas d'éditeur. Au gré des rencontres avec les compagnons de la profession, les deux amis se font découvrir leur monde, occupent le temps nécessaire au partage des savoirs, de leur art et c'est par cette enthousiasmante façon d'appréhender la question du sens du travail que l'on comprend que ces activités sont en réalité tellement proches quand elles sont à ce point investies par leurs acteurs.  
Ici, le dessin de Davodeau est toujours aussi précis, juste et atteint une tonalité intéressante par ce gris travaillé au lavis où l'on perçoit tout son plaisir de croquer les vignes des Coteaux du Layon caressées par les brises de la Loire toute proche. Après Rural et Les Mauvaises Gens, encore une fois, Davodeau nous enchante par ses histoires ordinaires qui révèlent avec sincérité le monde rural dans sa rudesse et sa richesse. Pour prolonger l'éveil des sens ce sera peut-être le week-end prochain à Montreuil.



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Isabelle Frémeaux et John Jordan, Les Sentiers de l’utopie

Trois ans (déjà trois ans!) après avoir achevé leur périple européen parmi différents lieux qui sont autant d’alternatives collectives au mode de vie capitaliste et consumériste, les deux voyageurs rendent enfin leur récit de ce circuit libertaire, écologiste et, surtout, heureux.

«Nous voulions voir par nous-mêmes quelques-unes des myriades de façons qu’il y a d’être humain, aujourd’hui, en Europe, malgré le capitalisme. Nous avons visité onze projets et communautés, et nous avons éprouvé leurs différentes manières d’aimer et de manger, de produire et de partager, de faire partie du monde et de décider des choses ensemble, d’enseigner et de se rebeller. De vivre.»

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Saul Steinberg, L'écriture visuelle

Jusqu'au 28 février 2010 se tient une exposition Saul Steinberg au Musée Tomi Ungerer. L'exposition couvre l'ensemble de la production de cet artiste américain, permettant de découvrir des traits étonnants et particulièrement délicieux de son travail. C'est également le prétexte pour un catalogue adorable, qui comblera tous ceux qui n'auront pas pu se rendre à Strasbourg.

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Armand Mattelart, L'Invention de la communication

Je viens d'arriver à bout de ce livre sinueux, historique, et nettement moins prévisible que peut le laisser croire son titre sec.
Si, en candide, j'abordais ce livre pour prendre connaissance des évolutions multiples de la «communication», je ne m'attendais pas à tomber dans un tel dédale! Le sociologue Armand Mattelart a mis à profit des connaissances très variées en apparence pour construire avec patience (à travers 350 pages), de manière universitaire, une copieuse fresque historique appuyée à cette notion protéiforme de communication.

«Cette histoire de l'invention de la communication est une invite à parcourir un tracé différent de celui que balise la communication dans sa modalité médiatique. La communication sera prise ici dans une vision plus large, englobant les multiples circuits d'échanges et de circulation des biens, des personnes et des messages. Cette définition couvre tout à la fois les voies de communication, les réseaux de transmission à longue distance et les moyens de l'échange symbolique, tels les expositions universelles, la haute culture, la religion, la langue et, bien sûr, les médias. Elle évoque aussi les diverses doctrine et théories qui ont contribué à penser ces phénomènes. Sont revisités sous l'éclairage de la communication des auteurs aussi divers que Vauban, Quesnay, Turgot, Adam Smith, Malthus, Saint-Simon, Comte, Fourier, Cabet, Proudhon, Enfantin, Darwin, Spencer, List, Ratzel, Marey, Taylor, Tarde ou Le Bon. Beaucoup d'autres sont redécouverts.
Cette histoire débute au XVIIe siècle […] pour se terminer dans la troisième décennie du XXe siècle, au moment où émergent à peine les termes
mass media, communication et culture de masse.» (Extrait de l'introduction)

Édité à La Découverte, première édition 1994.