Triple Zut Pierre est parti.
Adrien Zammit - mercredi 25 novembre 2015 - Événements
Ton regard va nous manquer.
Pierre Bernard nous a quitté ce lundi 23 novembre, du haut de ses 73 ans de vie, bien remplie. Cest un ami que lon perd, un complice précieux et sans doute le tout premier supporter de Formes Vives. Depuis nos débuts il était resté un fervent soutien, chaleureux et disponible.
Bien sûr on se souviendra dimages graphiques, qu'il a produit de ses mains, de son trait généreux et déterminé, une graphie reconnaissable entre mille autres par la franchise qui lengageait «à dessein». Mais aussi toutes ces formes créées avec dautres, quil a su accompagner de sa personne, de son il critique, de sa culture, de son plaisir de faire. Une belle partie de cette uvre semble inaltérable, gorgée dune qualité qui la distingue tant des modes, des pseudo-bonnes recettes et de locéan de merdes visuelles qui engloutit toujours plus notre environnement.
Vient cette vision dune grande famille de créateurs prolifiques, celles et ceux qui ont collaboré ou simplement échangé un jour avec Pierre, avant de dessiner leurs propres routes. Une famille bien bigarrée, plein de fois recomposée, parfois déchirée, mais évidemment une famille aujourdhui réunie par un même sentiment de tristesse. Limpression davoir perdu le noyau. Pierre, un drôle danimal social, qui na cessé dépauler et dêtre épaulé à la fois, en sentourant toujours avec attention. Tantôt tendre tantôt dur, des fois stratège, des fois maladroit, le plus souvent simplement généreux. Le communiste frondeur et poète. Celui à qui lon doit beaucoup, sans avoir réussi à réprimer la pudeur ou à trouver le bon moment pour lui avouer, il est parti. Triple zut. Jai aussi une pensée particulière vers Marsha Emanuel et tous ses proches.
On pourrait évoquer le Pierre-infatigable-agitateur, spectateur et acteur jamais repu, animateur crucial de la scène graphique depuis les années 1970, toujours curieux et intrigué par ses pairs créateurs et créatrices, dici ou dailleurs. Pierre était également militant politique, éclairé, voué à la construction du bien commun, de lintérêt public. Son investissement dans une succession dactivités débordait amplement du travail de commandes graphiques. Pas de retraite chez Pierre-le-battant, malgré les embûches, les désillusions, les temps qui changent, seule la foutue maladie aura eu raison de cette détermination. Jespère bien que ses convictions continueront dinspirer les faiseurs dimages daujourdhui et de demain.
Mais avant tout, pour moi, Pierre cétait limmense finesse dun regard conjuguée à un humanisme ardent. Un regard unique, aiguisé, précis, attaché au sens et à la qualité plastique de tout ce qui pouvait lui passer sous les yeux. Un regard éveillé au près de Tomaszewski et depuis toujours gardé alerte, sans cesse enrichi, nourri par les créations de son temps. Un regard pour servir cette ambition passionnément moderne : participer toujours et encore à des créations et des aventures «élitaires pour tous». Un Apollon dans la démocratie.
Ton humanité va me manquer.
Peut-être est-ce le moment de relire quelques uns de ses mots, lui avec qui il était si agréable de papoter et débattre.
«La création graphique en France existe», Étapes n°120, mai 2005.
Allocution donnée dans le cadre de la remise du prix Erasme, 2006.
«Un entretien avec Pierre Bernard», extrait de notre mémoire Citoyen-graphiste, 2008.
«Limage est un terrain de lutte permanent», un entretien à propos de la naissance de Grapus donné en 2013 à Xavier de Jarcy de Télérama, publié cette semaine.
Je vous invite aussi à lire Apollon dans la démocratie de Walter Gropius, un de ses livres fétiches. Jai deux exemplaires à la maison, je peux les prêter.
Et puis noubliez pas de lire Le Monde Diplomatique, son journal préféré!
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