Les groupes Medvedkine c'est l'histoire hors du commun et jamais renouvelée d'ouvriers rencontrant des auteurs de cinéma (réalisateurs et techniciens). Leur rencontre donne lieu à un travail et la réalisation de plusieurs films.

Nous sommes en 1967 quand cela commence, les ouvriers de la Rhodiaceta à Besançon, branche textile Rhône-Poulenc, sont en grève. Une longue grève. Une occupation d'usine, ce qui ne s'était plus vu depuis 1936. Non loin des syndicats, le CCPPO (Centre culturel populaire de Palente-les-Orchamps, un nouveau quartier ouvrier de Besançon) créé et emmené par le volontaire Pol Cèbe, René Marhoud, sa femme et d'autres personnes qui voient en l'accès à la culture un vrai projet d'éducation populaire.

«La culture c'est comme la pêche à la ligne, ça s'apprend.» Pol Cèbe

Bien sûr «l'information officielle» fait peu de bruit de la grande grève de la Rhodiaceta. Le CCPPO a l'idée de faire venir Chris Marker, pour qu'il voit, peut-être qu'il filme. Il viendra avec une petite équipe qui cherche alors des chemins d'engagement et les trouve à l'endroit où d'autres demandent des moyens d'émancipation.

De là né un premier film, À bientôt j'espère, projeté aux ouvriers en avril 1968. L'histoire du groupe Medvedkine de Besançon est bien lancée, le CCPPO proposera des ateliers de cinéma, d'autres films se feront, les ouvriers apprendront, les «parisiens» reviendront les aidés, mai 68 sera le noyau.

L'usine Peugeot à Sochaux connait une fin de grève de 68 tragique (2 morts, 150 blessés). Pol Cèbe relance la machine, Bruno Muel et Michel Desrois partent y faire un film et ainsi se crée le deuxième groupe Medvedkine. Le cinéma comme moyen de reconquérir la dignité humaine a rarement été aussi puissant.

Le dernier des films se déroule au Chili au moment du putsch de la CIA et de Pinochet, en septembre 1973. Témoignage brut et solidaire d'une lutte lointaine et proche, prenant toujours racine dans les souffrances de la classe prolétaire.

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«La culture est, à tous moments, l'enjeu d'une lutte. Ce qui se comprend, parce que, à travers l'idée de culture ou d'excellence humaine (l'homme cultivé, c'est, dans toutes les sociétés, l'homme accompli), ce qui est en cause et en jeu, c'est la dignité humaine. Cela signifie que, dans une société divisée en classes, les gens dépourvus sont et se sentent atteints dans leur dignité, dans leur humanité, dans leur être. Ceux qui possèdent, ou croient posséder la culture (la croyance, en ces affaires, est l'essentiel) oublient presque toujours les souffrances, toutes les humiliations qui s'accomplissent au nom de la culture. La culture est hiérarchisée et elle hiérarchise... Ce n'est pas seulement sur le terrain politique que la culture et le respect qu'elle inspire, réduisent au silence ceux qui en sont dépourvus...»

Pierre Bourdieu, Le culture pour qui et pourquoi, Le Monde, 12 oct. 1977.
Citation concluant La véridique et fabuleuse histoire d'un étrange groupuscule : le CCPPO, Michèle Berchoud, 2003.