Voici une image que je trouve très pertinente. C'est l'œuvre d'antipubs parisiens. La présence de ces barbouillages n'est pas si fréquent mais quand, pour ma part, j'ai l'occasion d'en croiser, je suis toujours agréablement surpris dans mon sommeil.

L'image sur laquelle je m'attarde n'est pas prise au hasard.

Tout d'abord j'apprécie la spontanéité de ce message écrit à la va-vite. Sans doute l'idée même de ce contre-slogan, «Tonnes de merdes», a été improvisé au moment d'accomplir le barbouillage. C'est cette spontanéité qui ici fait mouche et qui me fait réagir car souvent les slogans des antipubs me paraissent banals et ne jouent justement pas sur le lien qui peut naitre avec les images produites par la publicité (rapport texte-image). Ici l'auteur s'en est parfaitement joué.

Cette qualité est-elle un heureux hasard? Sans doute, mais ce même hasard est le fruit de l'extrême urgence propre à cette action. Ainsi le risque que de telles réussites soient rares fait parti de la démarche. Et quand réussite il y a, cela en est d'autant plus réjouissant!

Quand le slogan n'est pas bon, quand il fait trop «roquet»* ou à l'inverse «utopiste nuageux», alors je suis conduit à le mettre de côté pour ne juger qu'une action – pour laquelle j'ai le plus grand respect. Cette action est une subversion hautement nécessaire dans une société qui se réclame démocratique, dans un espace qui se nomme «public» et qui, paradoxe, est couvert des verrues des intérêts privés. L'action des antipubs est dans cette mesure porteuse d'un message intrinsèque, un réquisitoire contre les oppressions du commerce et plus largement un plaidoyer à la liberté.

Mais ici le message qui émerge est encore plus puissant dans la mesure où l'action et l'image qui en résulte se conjugue. Habituellement, les images sur lesquelles les antipubs barbouillent sont «anesthésiées». Elles ne peuvent plus remplir leur fonction publicitaire, propagandiste et n'ont plus aucun impact sur le public. Mais dans le cas présent le barbouillage va plus loin en s'appropriant le visuel de cette image! Il né alors une nouvelle image qui est le négatif parfait de la précédente.

Ce retournement-critique permet à ceux qui ont pris le temps de l'apprécier, d'aiguiser un peu mieux leurs regards-critiques sur cet environnement manipulatoire. N'est-ce pas là une tâche à laquelle devrait s'attacher les graphistes, du moins ceux qui estiment pouvoir tenir un rôle dans une démocratie et qui ont acquis la compétence de décrypter les images? Ne doit-on pas aider le public à mieux comprendre ces manipulations et ainsi à les retourner?

* Le deuxième slogan antipub que l'on peut lire, «7 jours pour accumuler, pas 1 jour pour y penser», répond à l'argument publicitaire qui vante que les magasins sont ouverts «7 jours sur 7». C'est ce que je nomme un slogan «roquet», il donne une réplique naïve et ne s'attarde qu'à répondre au message textuel.

La photo a été prise le 29 septembre 2007, station Censier-Daubenton.