Grands soirs et petits matins

En mai 1968, William Klein participe aux États généraux du cinéma qui se sont montés à Suresnes dans l'élan du sabordage du festival de Cannes. Il quitte sa commission de cinéastes aux alentours du 20 mai, embrigadé par des étudiants, pour se retrouver sur le terrain de l'action, dans le quartier latin, caméra à la main.

Il se retrouve comme témoin direct de la lutte des étudiants, il filme des manifestations, des émeutes, des assemblées générales, des conférences de presse des leaders... mais le plus intéressant, le plus émouvant, c'est sans doute ces scènes de rues où les gens se parlent, débattent, se questionnent ensemble sur leur avenir, réfléchissent à la politique, à voix haute. On a beau discréditer ce mouvement en raison des idéologies qui l'ont en partie dominé, il n'en reste que la place donnée à la parole était alors extraordinaire – en même temps qu'elle était irrécupérable par les partis ou les syndicats.

Ce film est un témoignage qui vaut bien mieux que tout le fracas médiatico-démagogique qui règne en ce moment, où l'histoire est réécrite par ceux qui, un peu plus tôt, avaient retourné leurs vestes. L'essence de ce mouvement, ce cri de vie spontané, semble désormais bien éteint...

Et pourtant les manifestations réapparaissent, très régulièrement, à chaque nouvelle réforme anti-sociale et parfois spontanément, comme le mouvement des caissières de début février. La contestation gronde, le 1er mai s'annonce comme une belle et grande fête, le président est impopulaire mais, toujours et encore, les bourgeois se maintiennent les pieds au chaud.

«Je n'ai pas retrouvé cette sensation extraordinaire de me sentir chez moi totalement, comme je me sentais à Mai, avec cet échange, cette espèce de dialogue spontané que j'avais avec tout le monde autour de moi.»
C'est ce que nous dit William Klein à la fin de la présentation de son film.

L'émission date de 1988. Le film Grands soirs et petits matins commence à la 13e minute.

-

-

-