Le rôle de lartiste nest plus de représenter le monde, mais de le transformer
Adrien Zammit - lundi 21 juillet 2008 - Politique
Une brève retranscription de l'intervention d'un certain John Jordan lors d'une soirée-débat «40 ans après mai 68, les imaginaires sont-ils toujours subversifs». C'est à lire ici sur le site Mouvements ou ci-dessous pour ceux qui préfèrent la mise en page en drapeau! (L'image de gauche, pour ceux qui n'auraient pas reconnu, est de Gérard Paris-Clavel, pour l'association Ne pas plier.)
(Cet article est la transcription légèrement retravaillée de lintervention de John Jordan au théâtre de lOdéon, le 26 mai dernier, lors de la soirée-débat organisée par Mouvements.)
Pendant des années, javais dans mon bureau une carte postale, sur laquelle était écrit «la question de lart nest plus lesthétique, mais la survie de la planète». Je trouve que ça résume très bien les choses. La question de fond, cest de repenser les logiques et la définition de lart et de la lutte. Dans une société qui pratique le suicide collectif, comment lutter ? comment mettre en uvre la créativité ?
Changer de logique, ça veut dire passer à «léco-logique». On peut pour cela sinspirer des peuples indigènes : tout est connecté. Il ny a pas de processus linéaire, mais des cycles. Il ny a pas de leader, mais des réseaux dinterdépendance. Cette éco-logique, on doit lappliquer à nos vies, dans toutes leurs dimensions : sociale, économique, artistique, militante, etc. Cest fondamental, comme point de départ. Parce que la plupart des éléments de la politique traditionnelle sont ennuyeux : des réunions, et encore des réunions; des think-tanks et encore des think-tanks ; des manifs, et encore des manifs, au final, cest au final, cest emmerdant. Cest assommant, même. La grande question qui se pose, le défi des imaginaires subversifs, cest de créer des formes de lutte qui font envie, qui donnent du plaisir : des formes de luttes qui ne soient pas quopposition, mais qui donnent à voir de lutopie, qui souvrent sur dautres mondes.
Le capitalisme nous a volé tout cela. Il nous a pris le plaisir de la rébellion, et il lutilise pour nous vendre des trucs merdiques. Du coup, je crois que le rôle de lartiste ce nest plus de représenter le monde. Nous navons pas besoin dune pièce de théâtre de plus qui nous parle du désastre à venir, ou dune chanson sur le thème de linjustice, dun poème sur la tristesse du monde. Le rôle de lartiste, ce nest plus de représenter le monde, mais de le transformer. Et pour moi, ça veut dire quil faut travailler, en tant quartiste, dans les luttes. Le matériau, ce nest plus la vidéo, le théâtre, le métal, des couleurs, etc. Le matériel de lartiste, désormais, ce sont les luttes elles-mêmes, les luttes et leurs formes dorganisation. La créativité doit être à leur service. Nous savons désormais que la beauté est dans la rue, que la poésie est sous les pavés. Nous savons que les meilleurs spectacles nont pas lieu dans les théâtres : ils commencent un peu partout, dès lors quon refuse la réalité qui nous est présentée. Les meilleurs spectacles, ce sont les moments où lon renonce à être raisonnable, où lon renonce à être spectateur.
Cest primordial, parce quaujourdhui, nous sommes plus capables dimaginer lapocalypse que ce qui viendra après. Nous devons donc mettre fin à toutes les formes de créativité qui soutiennent le système capitaliste. Ce qui veut dire que les artistes doivent quitter lindustrie publicitaire, par exemple : ils doivent cesser toute collaboration avec les institutions qui permettent à notre système suicidaire de se maintenir. À la place, nous devons créer des luttes qui soient irrésistibles, des formes de luttes qui soient beaucoup plus belles, beaucoup plus désirables que le dernier Ipod.
John Jordan