Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale

Wendy Brown est professeure à l'université de Berkeley et installe une pensée qui devrait remuer ceux qui se disent encore «de gauche».

Son analyse se porte sur l'Amérique post-11 septembre et l'ère George W. Bush ; les rationalités néolibérales et néo-conservatrices travaillant ensemble à désincarner la démocratie. Ainsi, dans ses essais très limpides, Wendy Brown nous pose une définition de ces termes sans cesse brandis, «libéralisme», «néolibéralisme», «néo-conservatisme», elle décortique ce qui réussi à faire marcher main dans la main des volontés politiques assez extrêmes : la toute puissance de l'économie liée au moralisme religieux.

En pleine bousculade sur la liberté d'expression, tandis qu'un gouvernement radicalement néolibéral s'est installé depuis plus d'un an, la situation française ressemble grandement aux méandres américains.


En plus d'offrir une analyse bien plus avancée que ce que nous donne à mâcher nos journalistes presbytes, mettant à jour la magouille et le zèle de l'oligarchie en place, démantelant également les réactions poussives de la gauche ordinaire, Wendy Brown se voit même l'audace de proposer. L'essai «Le néolibéralisme et la fin de la démocratie» se termine ainsi :

«Ce qu'il reste à faire à la gauche aujourd'hui, c'est à opposer à l'émergence d'une gouvernementalité néolibérale dans les États euro-atlantiques une vision alternative du bien — une vision qui refuse que l'homo œconomicus soit la norme de l'humain et qui rejette les conceptions de l'économie, de la société, de l'État et de la (non)morale tributaires de cette norme. Il s'agirait, dans sa forme la plus rudimentaire, d'une perspective où la justice n'aurait pas pour centre de gravité la maximisation de la richesse ou des droits individuels, mais l'encouragement de l'accroissement de la capacité des citoyens à se gouverner eux-mêmes en partageant le pouvoir et donc en apprenant à collaborer. Dans un tel système, les droits et les élections seraient en arrière-plan de la démocratie, et non son alibi. Mieux, les droits serviraient à protéger l'individu des enthousiasmes démocratiques radicaux, mais ne seraient pas, en tant que tels, l'indice de la démocratie, pas plus qu'ils n'en constitueraient le principe central. Au contraire, une conception de gauche de la justice mettrait l'accent sur des pratiques et des institutions de pouvoir populaire partagé ; une distribution des richesses et un accès aux institutions égalitaires ; une évaluation continue de toutes les formes de pouvoir — social, économique, politique, même psychique ; une vision à long terme de la fragilité et de la finitude de la nature non-humaine ; et l'importance, pour l'épanouissement humain, d'une activité intéressante et de logements décents. Aucune de ces valeurs, quelle que soit celle qu'on choisit de privilégier, ne découle de la rationalité néolibérale, ni ne satisfait aux critères néolibéraux du bien. Développer et promulguer cette contre-rationalité — une représentation différente des êtres humains, de la citoyenneté, de la vie économique, et du politique — est une nécessité capitale si nous voulons façonner un avenir plus juste et combattre aujourd'hui les politiques mortifères de l'empire américain.»

Les habits neufs de la démocratie mondiale est proposé par la petite maison d'édition Les prairies ordinaires ; elle propose d'autres traductions de très pertinents auteurs étrangers. La collection a été dessinée par Maëlle Dault.