Qu'est-ce qu'un titre si vendeur et une couverture rose fluo peuvent bien contenir?

Serge Tisseron, psychiatre-psychanalyste français, a à son actif de très nombreux livres. Son travail autour des images relève d'un questionnement sur les rapports que nous entretenons avec elles : qu'est-ce qui amène les êtres humains à regarder, à modifier le visible ou encore à le fabriquer? Le plaisir est charnière, les ressorts psychologiques de cette relation sont à explorer.

Le point de vue du psychiatre enrichit nettement notre conception «sémiologique» de l'image ; «Si la sémiologie rend remarquablement compte de l'un des aspects de nos relations aux images — la recherche du sens, consciente ou non —, elle occulte en effet deux autres aspects non moins importants : la recherche des pouvoirs d'enveloppement des images et celle de leurs pouvoirs de transformation.»

C'est dans l'alternance entre l'enveloppement (position de spectateur) et de transformation (position de créateur) que se déploie, en fonction des supports, notre relation avec les images.
La préface se termine sur ces mots : «L'imageance est cette force qui pousse tout être humain à se doter d'images intérieures dans lesquelles il peut plonger sans jamais craindre d'y rester enfermé, et d'images matérielles qui lui permettent de prolonger ce rêve. Et, dans les deux cas, c'est la certitude de pouvoir les transformer à son gré, réellement ou mentalement, qui est le garant de sa liberté.»

Tisseron se démarque de la sémiologie (la science qui prétend être LA spécialiste de l'image) en n'interrogeant pas la relation que les images ont avec la réalité physique (ce qu'elles représentent) mais en analysant les rapports que les images entretiennent avec l'être humain (sa réalité psychique).

La première partie de l'ouvrage traite de ces rapports vis-à-vis des supports (positionnement proche de la médiologie de Régis Debray) : «Choisir l'écriture, le graphisme, la peinture ou la photographie, c'est, avant même toute organisation de la matière d'une création, faire le choix de privilégier les fantasmes attachés aux gestes scriptural, graphique, pictural ou photographique. De la même façon, choisir de regarder un film, une photographie ou une bande dessinée, c'est choisir une forme particulière de relation à l'image autant que le contenu spécifique des images regardées. D'ailleurs, n'éprouvons-nous pas parfois le désir d'aller au cinéma avant celui de voir un film précis?»
Ainsi il traite des «dessins idiots des manuscrits», de la publicité, de la bande dessinée, de la photographie, du cinéma, de la télévision et enfin des ordinateurs et des jeux vidéos. Les études sont très courtes — pour ne pas dire maigres — mais dans l'ensemble Tisseron éclaircit réellement notre compréhension de notre attirance envers tel ou tel média.

La seconde partie, L'image libérée du sens, est une analyse-critique de la considération occidentale de l'image ; nous l'envisageons «comme symbole, signe ou comme système de signes», soit «une forme de présence dans l'absence».
Sa rhétorique, parfois un peu répétitive, l'amène cependant à un positionnement singulier : «La pensée de l'image comme «signe» est globalement dangereuse et insuffisante. Dangereuse parce qu'elle place l'image à la remorque du mot ; et insuffisante parce qu'elle ne rend pas compte de ses spécificités propres. […]
Le mot serait le terme ultime : la chose se représenterait dans l'image et l'image dans le mot selon une graduation qui ferait du langage, dans la continuité de la tradition hébraïque et romaine, le garant essentiel de l'ordre symbolique. […]
Envisagée à l'aune du «symbolique», l'image est alors condamnée à être reléguée dans la catégorie des «éternels seconds», condamnée à être «impure» là où le signe linguistique serait «pur» ou encore chargée «d'indiciel» là où le signe linguistique donnerait accès au pur arbitraire du «symbole». Cette conception a d'abord sa cause première dans la prévalence attribuée par notre culture au langage : une prévalence dont témoigne la phrase du texte de la Genèse « Au début était le Verbe».»


Il (re)développe ensuite sa thèse (enveloppement et transformation) et dans le quatrième et dernier chapitre, Les imaginaires de l'image, nous gratifie d'une superbe citation de Gilles Deleuze : l'image nous propose de «faire toucher au regard comme à une main, faire entendre à l'œil comme à une oreille, faire goûter à la vision comme à une bouche les chairs possibles du monde».

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Édité par Les empêcheurs de penser en rond, réédition de 2003 (première édition 1996).