Choses lues, choses vues



Le «vidéaste, écrivain, photographe et artiste» Alain Fleischer est à l'honneur depuis quelques jours à la BnF pour l'exposition qu'il a conçu sur la lecture. Une exposition, que dis-je, une «installation»!

Elle occupe la magnifique grande salle de lecture Labrouste (site Richelieu) et se compose d'une myriade de petits écrans plasma (90), insérés dans des coffrets à ouvrir, qui proposent autant de vidéos différentes de personnes en train de lire à voix haute, chez elle, dans la rue, dans une salle de cours… Tous les films durent 7 minutes (ou 3,5), se répètent en boucle (que le coffret soit ouvert ou pas), ponctués par un arrêt tous les quarts d'heure durant lequel est projeté, pour tous les spectateurs, une autre vidéo de lecture — ou de performance.
Cette exposition est financée par Le Fresnoy («Studio national des arts contemporains») qu'a créé et que dirige le même Alain Fleischer.

L'ensemble forme un parcours remarquablement désagréable, le dispositif des petites vidéos n'étant vraiment pas confortable (les écrans ne s'inclinent pas assez pour être regardé assis tandis que la qualité et la superposition des sons est vite pénible), les boucles de vidéos s'enchainant trop vite (voir une des vidéos jusqu'à la fin signifie rater le début d'une autre vidéo, cela est très frustrant), la scénographie est grossière et si vous êtes à la recherche d'une vidéo (d'un lecteur ou d'une lecture qui vous intéresse) il faut aller chercher le guide pour qu'il vous la retrouve.

Là-dedans, une étrange envie de fuite s'est doucement mais sûrement emparée de moi.
Pourtant, en amoureux des livres, ma curiosité était grande ouverte à ce qui m'était annoncé comme un «manifeste pour la lecture» dans un lieu magnifique. Mais on se retrouve mal à l'aise dans cette installation froide et creuse, alignant des lectures filmées à n'en plus finir, qui à aucun moment ne rapproche du plaisir réel de la lecture, de la relation physique et spirituel que l'on tisse avec un ouvrage et son auteur. À aucun moment non plus on se sent emporté par ces lecteurs, comédiens malgré eux, pâles représentants d'une diversité des lectures. À aucun moment non plus des rapports de complicité se créent, ce genre de plaisir que l'on prend à déambuler dans la Hune ou à saisir quelques livres de sa bibliothèque pour en (re)lire des passages.

N'oublions pas la collection de citations réparties avec asthénie sur les tables et qui, comme à l'accoutumée, ne sont que bouches-trous et cautions intellectuelles. C'est inévitablement que toute l'exposition repose sur l'une d'entre elle, évidemment prise à Godard ; «Finalement, je crois que ce qu’il y a de plus extraordinaire à filmer, ce sont des gens qui lisent».
Malheureusement, ce n'est pas à Godard lui-même que Bruno Racine (président de la BnF) s'est adressé pour concrétiser cet adage.

En sortant on est frappé par l'absurde, vidé, tel les rayonnages de cette grande salle de lecture. Où sont les livres? Et puis on en vient à se dire que l'on aurait été tellement mieux dans une petite librairie ou une bibliothèque, à flirter furtivement d'un rayon à un autre, feuilletant dans le sens que l'on veut des livres pris au hasard, à se faire happer par une couverture ou un titre intrigant, à fouiller les étagères de bas en haut jusqu'à trouver un petit délice de textes, de papier, d'images, que l'on sera peut-être le seul à apprécier de la sorte.
Reste à partir en courant vers un vrai livre pour vraiment lire et vite oublier cette reconstitution qui aurait mieux fait de rester à l'état pompeux de son dossier de presse.

Le dossier de presse.