Discrimination visuelle positive et inégalité des chances
Adrien Zammit - vendredi 15 janvier 2010 - Politique
Comment ne pas être choqué par le vomi d'hypocrisie que révèle la carte d'invitation aux Portes ouvertes 2010 des Arts déco de Paris. Dans une école où la majeure partie des personnes de couleurs ne sont pas des étudiants mais des employés à la sécurité ou à la propreté, où les élèves et les enseignants sont principalement d'origines sociales favorisées ou très favorisées, il n'y a plus que la com pour encore chercher à nous faire croire à un semblant d'«égalité».
Pour représenter les 10 sections, les Arts déco n'auront pas eu de scrupules à aller chercher et à exhiber une des seules métis, un des seuls noirs, une des seules bien portantes, un des seuls typés asiatiques. Il ne leur manque que l'arabe pas de chance il n'y en avait pas.
Ainsi, avec ce vernis multicolore, la séculaire reproduction des élites peut bien se poursuivre, en toute quiétude.
Je vous renvoie vers deux récents articles de l'Observatoire des inégalités (via Rezo).
«Des grandes écoles pour enfants fortunés» démonte la pseudo ouverture des grandes écoles à toute la population en prenant comme exemple la Fémis.
«Les paradoxes de l'égalité des chances» nous rappelle encore, 46 ans après Les héritiers. Les étudiants et la culture de Bourdieu et Passeron, que cette égalité ne peut rien face aux profondes inégalités sociales qui subsistent.
Enfin, je complète par un autre article sur l'égalité des chances, issu du fameux et cinglant Dictionnaire collectif de la langue de bois et des concepts opérationnels de la SCOP d'éducation populaire Le Pavé.
Après avoir éliminé Robespierre, la réaction thermidorienne de 1795 met fin à la révolution et à lidéal dune société dans laquelle l'égalité serait réalisée. Mais comment consacrer le retour de linégalité, de largent, de laristocratie, de la fortune, de la propriété sans que le peuple ne reprenne les armes ? Comment abandonner l'égalité sans que cela ne se voie ? En lappelant : « légalité des chances ». Légalité des chances est le mot qui veut dire « Inégalités». Tels le lapin et la tortue, nous sommes donc « égaux » sur la ligne de départ. Nous avons virtuellement les mêmes « chances ».
En entrant à lécole, Bastien dont le père est banquier, et Mohammed, dont le père est chômeur ont donc les mêmes « chances ». Il est évident que si Bastien intègre une grande école et Mohammed ne dépasse pas la troisième professionnelle, ce nest que le résultat de leur mérite propre. Lun na pas su, ou pas voulu utiliser les « chances » que lon avait mises à sa disposition en égale proportion avec lautre. Quand lun et lautre doivent raconter leurs vacances dans une rédaction, cest un pur hasard si les parents de Bastien et le professeur possèdent la même culture, partagent les mêmes codes, les mêmes modes de vie, et aiment tous les deux les mêmes vacances: marcher dans le Cantal plutôt que de sentasser au camping des flots bleus et de faire du baby foot au café de la plage. Ou encore de rester jouer au foot tout lété sur la dalle de limmeuble. Si la rédaction de Bastien (à qui sa maman a appris à reconnaître les chants doiseaux dans les forêt du Cantal) reçoit une meilleure note, cest parce que Mohammed na pas voulu faire leffort de raconter dans des termes joliment et littérairement tournés ses journées dété occupées à traîner dans son hall descalier. Un tel sabotage de ses « chances », une telle mauvaise volonté, une telle paresse intellectuelle méritent une sanction. Un tel refus dutiliser les « chances » que lécole républicaine a mises à sa disposition, mérite une mauvaise note.
Comme tous ces mots à dépolitiser les rapports sociaux, « légalité des chances » est une machine à nous faire croire que cette société offre à tous une égale opportunité et que nous sommes seuls responsables de notre situation. Cest le modèle Américain du « land of opportunity ». Il ny a plus de patrons pour nous exploiter, seulement des individus qui ont voulu ou pas saisir leurs chances.
Transformé en loi, ce principe de légalité des chances légitime labjection des « grandes écoles » dans lesquelles se côtoie et se reproduit « lélite républicaine » qui est essentiellement le refuge de la noblesse et de laristocratie reconstituées. Depuis la loi sur légalité des chances, un quota de pauvres et détrangers (pardon de « minorités visibles ») est autorisé à rentrer dans ces écoles. Mais la question na jamais été de savoir combien y entraient, mais combien en sortaient. Au nom de légalité des chances, tout le monde rentre dans lentonnoir de lécole, mais seulement 1% de fils douvriers en sortent avec un diplôme universitaire quant la France dénombre 30% douvriers en 2005 au sein de la population active. Jetons un voile pudique sur les 99 autres Le problème de légalité nest pas de rentrer mais de sortir égaux, pas de démarrer mais de finir égaux. Cest une toute autre tâche !