Je t’aime mon peuple (progressiste/révolutionnaire)



Comme on le sait, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres est un acte de désespoir atroce (que d’autres ont reproduit depuis), l’immolation par le feu d’un jeune chômeur diplômé, Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010. Partant de Sidi Bouzid, la révolte a enflammé en quelques jours toute la Tunisie, et renversé en à peine un mois un dictateur au pouvoir depuis 23 ans, soutenu pourtant par les pays occidentaux (à commencer par la France) jusqu’à la dernière minute. Durant ce mois, la communauté tunisienne en France a été sur le qui-vive, organisant protestations et mouvements de soutien, avec l’aide des forces progressistes françaises.


Une grande manifestation a été programmée pour le samedi 15 janvier, intitulée «Halte au massacre en Tunisie». Trois jours avant, un mercredi soir vers 23h, un ami de Sud-étudiant (et du journal L’Autre Ment) me demande si je suis prêt à réaliser un autocollant pour les camarades tunisiens de l’ATF (Association des tunisiens de France). Ils ont déjà choisi leurs mots : «Je t’aime mon peuple, progressiste et révolutionnaire», l'autocollant devant être bilingue français/arabe. La formule me semble très belle, et surtout elle porte en elle un élan positif et révolutionnaire, qui n’a pas besoin de mentionner ni Ben Ali ni sa répression meurtrière : puisque ceux-ci sont dans toutes les têtes, plutôt affirmer la lutte, le désir et la vie. J’apprendrai ensuite que la formule d'origine («Peuple je t’aime» en arabe) sort de la bouche d'un syndicaliste assassiné lors de l'indépendance en 1956 par des nervis… sans doute au service de la France.

Je me mets au travail le soir même, sur une version typographique aux couleurs de la révolution… et de la Tunisie. Le lendemain, je rencontre Rania, camarade tunisienne de l’ATF, dans un café ; j’ai apporté feutres et papier pour qu’elle me calligraphie la formule dans les deux langues. Je scanne et met en page dans la journée, tout en cherchant sans succès un imprimeur susceptible de réaliser une impression d’autocollants en offset en 24 heures. Le lendemain, veille de la manif, on s’est décidé pour une impression en reprographie sur papier autocollant : tirage à 800 exemplaires dans les deux langues, ainsi que 80 affichettes A3. C'est en revenant en métro chargés des images pour aller les massicoter que Nadia, autre camarade de l’ATF, reçoit plusieurs coups de fil. La nouvelle est tombée, cela semble au départ une rumeur, mais elle se confirme peu à peu : Ben Ali est en fuite, le dictateur inamovible est tombé! Un peu plus tard, je suis au local de l’ATF, on doute encore, on n’ose pas trop se réjouir…

Mais le lendemain, je rejoins la manifestation à République, un peu en retard, et en remontant le cortège, apercevant l’image portée par des manifestants, je constate que ses mots n'ont plus le même sens : ils parlent de victoire…



Certes, cette victoire n'est pas définitive : maintenant que Ben Ali et les Trabelsi sont partis, que les droits démocratiques fondamentaux (liberté d'opinion, d'expression…) sont établis, il reste à ce débarrasser du RCD (le parti de Ben Ali) et de ses caciques qui s’accrochent au pouvoir, et à obtenir des réponses concrètes aux aspirations portées par ce mouvement révolutionnaire, non seulement de liberté et de démocratie, mais aussi de justice sociale. La lutte continue donc pour le peuple tunisien, mais il a donné des idées à d‘autres peuples dans tout le monde arabe… et il pourrait bien nous en donner à nous!



Photographies de Wolf (Bon Pied Bon Œil) et de Sylvain Gelineau.