Isabelle Frémeaux et John Jordan, Les Sentiers de lutopie
Adrien Zammit - lundi 21 février 2011 - Bibliothèque
Trois ans (déjà trois ans!) après avoir achevé leur périple européen parmi différents lieux qui sont autant dalternatives collectives au mode de vie capitaliste et consumériste, les deux voyageurs rendent enfin leur récit de ce circuit libertaire, écologiste et, surtout, heureux.
«Nous voulions voir par nous-mêmes quelques-unes des myriades de façons quil y a dêtre humain, aujourdhui, en Europe, malgré le capitalisme. Nous avons visité onze projets et communautés, et nous avons éprouvé leurs différentes manières daimer et de manger, de produire et de partager, de faire partie du monde et de décider des choses ensemble, denseigner et de se rebeller. De vivre.»
«Nous voulions voir par nous-mêmes quelques-unes des myriades de façons quil y a dêtre humain, aujourdhui, en Europe, malgré le capitalisme. Nous avons visité onze projets et communautés, et nous avons éprouvé leurs différentes manières daimer et de manger, de produire et de partager, de faire partie du monde et de décider des choses ensemble, denseigner et de se rebeller. De vivre.»
Je suis actuellement plongé dans le livre et je me régale littéralement ; cest très vivant, humble et juste (et non donneur de leçon ou naïf), semé de références historiques ou politiques mais jamais trop. Et cest très vite que je me suis fait emporté dans cette épopée merveilleuse et dans les visions utopistes qui y jaillissent à tour de page.
Au sujet de lobjet, il ma un peu déconcerté, avec son format horizontal et ses quatre colonnes de texte ce nest peut-être pas un chef duvre de bibliophilie tout en restant une jolie tentative mais au final il se révèle très agréable à lire! (conception graphique Skart et Cactus)
Le livre est aussi accompagné dun documentaire vidéo, très bien monté lui aussi ; sil est un peu moins riche dapprentissage, il participe pleinement à nous offrir un précieux aperçu de la poésie de ces lieux et de ces vies «avancées», en nous montrant des visages rayonnants, des paysages en bonne forme, des ciels et des chemins salvateurs.
Dans lesprit on pense aux récents documentaires de Pierre Carles Volem rien foutre al païs ou de Naomi Klein The Take (pour lequel John Jordan a dailleurs lui-même filmé), mais personnellement je trouve Les Sentiers de lutopie bien plus fin, agile et entrainant, ne sagissant pas dune démonstration (comme Michael Moore en a fait un genre musclé et froid) mais bien plutôt dune douce ode et il faut être extrêmement bien attaché au mât du navire pour y être insensible!
Bien sûr ce serait vous tromper que de vous laisser penser que la politique y est en retrait ; elle y est très présente mais au final très rarement de manière frontale et théorique. Elle est bien là, elle transpire dans chacune des paroles et des situations rapportées, mais à aucun moment elle forme une fin en soi, jamais elle ne dépasse les expériences bien réelles.
Pour témoignage du positionnement des auteurs, il y a ce passage p.104 qui na pas manqué de marrêter : «Comme Andrew X nous le rappelle dans son brillant essai, Give Up Activism (Renoncez au militantisme), se penser comme militant suppose de se voir comme quelquun de privilégié ou en avance sur les autres dans so appréciation de la nécessité dun changement social, dans la connaissance de la manière de lobtenir et dans le statut de leader, ou de quelquun en première ligne dans le combat concret afin de créer ce changement. Le militantisme, explique-t-il, non seulement reproduit la division du travail propre au capitalisme mais il encourage les hiérarchies, fétichise laction, le sacrifice de soi et isole le militant des gens normaux. Le plus souvent, écrit-il, le militantisme est un obstacle au vrai changement. En fin de compte, ce nest pas le nom dont nous nous affublons qui compte, mais la manière dont nous nous comportons.»
Le livre est entièrement et gratuitement lisible sur Internet (comme pour les autres titres édités chez Zones/La Découverte). Le film est également à voir en ligne. La fabrication atypique, réalisée à Londres par une imprimerie en coopérative, limpression en bichromie, les plus de 300 pages et la présence dun DVD en font un livre un peu cher (25), mais comme je ne pourrais pas le prêter à tout le monde, je ne peux que vous inviter à vous en procurer un exemplaire en librairie.
Et au passage vous participerez, dune modeste manière, à rendre possible le projet de la r.O.n.c.e dans le Morbihan. Isabelle et John ne pouvaient pas rentrer de ce voyage en utopie et retourner à leur point de départ (Londres) comme si de rien nétait trop belles et fortes sont les choses quils ont désormais vu et vécu et avec dautres les voilà embarqués pour créer leur propre lieu, tissage dagriculture et de culture. Belle conclusion en forme déclosion.