Petit retour sur la 22e édition du Festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont

Après Lyon (pour le «Grand Salon» de la micro édition), un court séjour à Lajoux dans le Jura puis un rapide passage à Lausanne (qui m’a quand même permis de visiter le bâtiment de l’ECAL ouvert fin 2002, gros bloc disposant chaque section à la manière de monumentaux open space, fait froid dans le dos leur truc…), il m’a alors fallu remonter le Jura pour prendre la direction de Chaumont (via Vallorbe, Pontarlier, Ornans, Besançon, Langres), le tout toujours à vélo.



Arrivée à Chaumont dimanche 22 en fin de matinée, le workshop (précédemment raconté) démarrant le lundi. Les expositions ont toutes été ouvertes le samedi 21 — sauf exception des Subsistances où sont exposés les résultats des concours internationaux et étudiants, résultats révélés durant le weekend inaugural, les 28 et 29 mai — et ainsi nous avons eu tout le temps nécessaire pour les apprécier.



L’installation interactive de Lust dans la Chapelle des Jésuites.



La très instructive conférence de Thomas Huot-Marchand, le mercredi soir.

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Les deux expositions que nous avons préféré étaient toutes deux à l’espace Bouchardon. Soit Ed Fella documents (commissariat Vincent Tuset-Anrès de Fotokino, scéno Renaud Perrin) et Monozukuri — formes d’impression (commissariat et scéno Sacha Léopold et Charles Beauté).



Le travail d’Ed Fella, que nous ne connaissions pour ainsi dire pas du tout (à l’atelier, Thibaud laisse toutefois trainé son exemplaire de Letters on America) est réellement passionnant. Déclaration d’amour au travail méticuleux, anarchique et manuel des formes, Fella est charnel avec les lettres, amusés avec les mots, jovialement américain, assurément inclassable.
Pour l’apprécier vous pouvez vous reporter au très bon catalogue de l’exposition (conception graphique Cécile Benjamin et Jérôme Saint-Loubert Bié). Et puis l’expo glissera à Marseille un peu plus tard.



Les travaux, dans l’ordre, de Bettina Henni, de Cornel Windlin, de Grégoire Romanet, de Marco Mueller et Nicolas Sourvinos, du Tampographe Sardon, de Xavier Antin.

Monozukuri (cf extraits ci-dessus), propositions des graphistes Sacha Léopold et Charles Beauté, est un panorama gourmet de ce que les techniques d’impression peuvent permettre, prouvant toute la richesse artisanale du travail de l’imprimerie, artisanat qu’il est encore temps de promouvoir et d’éprouver via des travaux originaux. Cette monstration est très pédagogique pour les graphistes et j’ose aussi imaginer qu’elle peut être source de plaisantes découvertes pour le dit «grand public».



La Fabrique, où l’on trouve des petits espaces d’expositions/ expérimentations ouverts sur appel à projet aux «jeunes» graphistes (nous avions participé à la première édition, l’an passé, avec un Journal des citoyennes et citoyens de Chaumont), était cette année encore une réussite, la qualité des propositions s’étant enrichi et ne manquant pas d’amener quelques très heureuses surprises. Je manque cruellement de photos de ces projets, désolé.



Isolés du reste des expositions (durs à trouver dans le programme et non indiqués par la muette signalétique), étaient présentés au Centre départemental de documentation pédagogique (CDDP) les résultats de trois ateliers de création menés durant l’année 2010-2011 à Chaumont ; Frédéric Rey et Vincent Tuset-Anrès avec une école maternelle et deux primaires, autour du dessin de la lettre en écho au travail d’Ed Fella ; Clio Chaffardon et Benjamin Dennel avec des collégiens de Chaumont et St Dizier, sur les questions de «qu’est-ce que le graphisme?» et de l’identité adolescente ; Sacha Léopold avec des détenus de la maison d’arrêt, s’interrogeant ensemble («Qu’est-ce qu’on fait là? Qu’est-ce qu’on a à dire? Comment on le dit?»). Les travaux en résultant sont d’une vraie fraicheur et font la démonstration que la chose graphique peut être un outil de premier choix pour l’expression de tout un chacun; ces ateliers sont sans doute une bonne porte d’entrée pour susciter l’intérêt des Chaumontais vis-à-vis du Festival comme le souligne cet article de L’Affranchi (le journal indépendant local).



L’Affranchi, dans ce même article, s’interroge sur un penchant élitiste de cette édition du festival. La question (que certains doivent décrier comme «populiste») peut facilement s’étendre à tout un pan du graphisme contemporain qui se complet dans des questionnements ampoulés (dits «postmodernes») ; mais après tout, pourquoi pas.
Le Festival, avec Étienne Hervy, se voulant un réflecteur des pratiques graphiques les plus innovantes, il est légitime que ces tendances fortes actuellement soient représentées. Entre la non-signalétique des Vier5 et le non-catalogue des Åbäke, nous voilà servis! Notre amertume quant à cette édition vient du concours international ; très peu de choses à se mettre sous la dent, alors même que c’est habituellement dans les affiches sélectionnées que j’ai pu trouver (les trois années où je m’étais rendu au festival) ma principale «claque», renouvelant mon entrain à travailler généreusement aux formes. Ce n’est peut-être pas complètement la faute au jury (présidé cette année par M/M), puisque que peu de choses ont été envoyées — une défection que l’on espère temporaire — mais enfin, il semble qu’un point d’honneur a tout de fois été mis à ne sélectionner que des autoproductions ou des commandes d’institutions dédiées à l’art.
Est-ce là le seul champ du graphisme d'auteur?



Une affiche de Raphaël Garnier et Alain Rodriguez qui, je dois l’avouer, me plait bien.

Les autoproductions ont leur intérêt, en marge du travail de commande elles peuvent permettre l'élaboration d'univers formels, ou bien permettre de faire exister des images improbables dans d’autres contextes. Après il y a plusieurs types d'autoproductions, on peut citer celles qui existent et prennent place dans le monde (comme me le fait remarquer Vincent Perrottet, des images des Graphistes associés et d’autres n’auraient jamais vu le jour autrement), et d’un autre côté celles qui ne sont produites que la promotion de leurs auteurs dans le champ des graphistes.
Quand, dans un concours international de graphisme, on arrive à une sélection qui montre, pour plus de la moitié, des autoproductions, on peut se poser des questions. Présenter ainsi, des images qui ne trouvent comme lieux d’existence que les galeries et autres biennales, c'est un peu dommage.

Et comme le faisait remarquer justement Nicolas, s’il s’agit ainsi de montrer des images pour leur «pur» intérêt visuel, alors ces «affiches» devraient être mises en regard avec des travaux de peintres, dessinateurs, photographes… Pas sûr que les virtuosités «expérimentales» des graphistes tiennent le coup (mis à part les travaux de ceux que l’on pourrait penser comme d’abord plasticiens).
Mais la question principale serait surtout quand le graphiste cherche à s'émanciper de la commande, de l'altérité, fait-il encore du graphisme?

La rigueur impeccable des deux ans de travail de Cornel Windlin avec le théâtre Schauspielhaus à Zürich, premier prix de ce concours international, n’est quant à lui pas dans cette veine «arty» ; il s’agit plutôt d’une leçon contemporaine de design graphique suisse. Et ça fait du bien de voir ça. (Même si, personnellement, cela ne nous a guère plus touché que l’exposition Olivetti aux Silos).

Après quoi, l’accent mis sur le travail de commande, pourtant primordial dans notre métier, était relégué à la sélection française.



Pour conclure sur une note positive, entre Monozukuri, Ed Fella, les Gusto (rhou merde j’ai oublié d’en parler ; ils sont allés peindre des vitrines de commerçants, au blanc d’Espagne, participant vivement à créer une ambiance festivalière dans les rues chaumontaises), les résultats des ateliers de création ayant eu lieu durant l’année et la Fabrique, nos yeux (directement reliés à nos têtes) n’ont franchement pas regretté le déplacement!



NB Et on n’est pas peu fiers d’avoir notre affiche réalisée avec la ville de Bobigny parmi la sélection d’affiches françaises de cette année — en plus placée entre deux images d’ateliers que nous aimons tout particulièrement, Mathias Schweizer et les Helmo!