Simone & Lucien Kroll



Petite présentation du couple d'architectes-paysagistes belges, pionniers de la participation, dans le cadre de leur exposition rétrospective à voir au Lieu Unique à Nantes jusqu'au 1er décembre.


Les expositions d'architectures semblent souvent s'adresser à un public d'experts ; professionnels ou étudiants. Les rares occasions où j'ai pu en visiter (Portzamparc à la Cité de l'Archi ou Rogers à Beaubourg, ça date déjà pas mal…), il ne me reste en tête qu'une vague image, en gros une sorte de fascination facile de celui qui aura la plus grosse maquette, ce qui faisait de l'ombre à tout le reste. J'imagine qu'il existe pourtant d'autres lieux et d'autres modes de présentation que je serais curieux de découvrir.

En tout cas, l'idée de l'architecte/essayiste Patrick Bouchain — commissaire de cette exposition Simone et Lucien Kroll: une architecure habitée — prône un certain décloisonnement pour «rendre hommage à ses maîtres à penser». Ici, pas de maquettes grandiloquentes aux matériaux onéreux, pas de notices techniques interminables et inaccessibles, pas non plus de plans, de perspectives 3D ou de scènes d'immersion artificielle. On observera de préférence et avec un peu d'amusement les dessins aux traits illustratifs et presque naïfs de Lucien, les diapos des jardins foisonnants de Simone, les maquettes fragiles en carton et les nombreuses prises de vues qui ornent les murs de l'expo présentant les principales réalisations des maestros de l'archi-participative.
Images de chantiers, d'assemblées générales, de mouvements, de moments de vie souvent en noir et blanc, «toute une époque» clameraient certainement les nostalgiques, celle des utopies dans l'archi, où l'intérêt grandissant pour le vernaculaire et l'artisanat rejoignait celui de la critique urbaine, tout ceci dans un joyeux bordel d'expériences poussées par un idéal démocratique et fortement humaniste. En effet il y a des fleurs, des couleurs vives et des cheveux longs, et les Kroll citent aisément Hundertwasser dans leurs principaux guides plastiques là où on attendrait autre chose... mais cette rétrospective c'est justement autre chose qu'une caricature de l'anarchitecte baba, elle fait tomber les œillères.


On a apparemment vite collé l'étiquette d'ovni aux Kroll, tant dans les revues spécialisées que dans les écoles, ce qui évitait peut-être de se pencher sur leur travail décalé mais ô combien marqué de préoccupations sociales.
Moderniste quand même dans les formes, c'est sûr, utopiste aussi, mais pas que dans les années 1960, leur travail résiste et sa radicalité des débuts, sur des projets modestes, n'a pas perdu de sa vigueur sur les plus gros chantiers proposant des résultats pertinents sur la question tant controversée du logement social. Leur méthode c'est le participatif, le bien-être social comme fondement du dessein architectural, la parole relayée qui prend souvent la forme d'une expertise longue et pointue en amont de toute décision comme cette fameuse première expérience de la Mémé, où les étudiants-futurs-habitants sont allés eux-mêmes chercher leur architecte et se sont investis dans toutes les étapes du boulot. Royal!


Celui «qui renonce au pouvoir souverain de décider seul pour la vie de tous» n'est pas un avant-gardiste mais un architecte-critique qui déplace les postures, et déroge au système opaque et écrasant des projets! Pas étonnant d'y retrouver la troupe du Collectif Etc — dont on parle régulièrement sur ce blog, ici ou —, invité pour l'occasion à présenter leur appartement-témoin, prétexte à inviter d'autres collectifs pour expérimenter autour d'un lieu et d'une idée: «le sol et les murs sont les supports à l’imagination». Allez jeter un œil sur le site, c'est curieux comme tout.

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L'exposition est construite autour de citations en regard des esquisses et photos-souvenirs, voilà quelques-unes de leurs paroles et aussi des images issues du fond de leur site web.


L'écologie est, depuis Ernst Haeckel (1866), la science des relations. Elle se vit comme l'inverse de la schizophrénie qui est exactement la non-relation. Pour Félix Guattari, elle commence avec l'équité sociale, interraciale, intermonde ; elle se continue avec la psychologie (quels comportements sont induits par quel milieu?) et en troisième lieu seulement, avec le souci physique de la technique. Chaque palier n'a de sens qu'en fonction de tous les autres.


Il est irrationnel d'imposer des éléments identiques à des habitants divers ; cela les rend identiques, amorphes ou révoltés.



À la Mémé, pour être sûrs de n'avoir aucune régularité, ni aucune hiérarchie, nous avons tiré aux cartes quel châssis devait venir à côté de tel autre.



Avant d'être une liste «vertueuse» de performance environnementale, l'écologie (et la HQE) exige une attitude philosophique (ou plutôt civique) devant l'acte de bâtir et d'habiter : il s'agit d'abord d'un projet de société avant d'être un «objet». La simple économie ne suffit pas à justifier ces efforts : Dépenser ou économiser, ce n'est jamais que marchandiser encore la planète...



M. Consigny, président des HLM de Perseigne, une caricature de puissance, m'avait dit, sincèrement étonné: «Mais... nous n'allons tout de même pas demander à NOS locataires comment réhabiliter NOS logements!» C'était là la raison de l'abandon de notre étude.


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